Si fragile, et pourtant si fort

Si fragile, et pourtant si fort


Regards sur Bethléem, No 63 - Thème

Photos : © Meinrad Schade

La maladie du papillon, une affection cutanée défigurante, incurable et de surcroît douloureuse, est due à une anomalie génétique. L’Hôpital de l’Enfance Bethléem permet aux « enfants-papillons » de retrouver un peu de normalité grâce à un concept global qui inclut les soins médicaux, l’information et la mise en réseau des familles concernées. Un reportage d’Andrea Krogmann depuis Bethléem.

Le petit Youssef Sweiti est allongé sur un gros coussin sur le canapé et babille allégrement. Délicatement, sa soeur dépose un petit baiser sur le ventre du bambin d’un an. Le garçonnet est tout joyeux et pourtant ses mains et ses jambes sont enveloppées dans des bandages, son visage est couvert de lésions. Au moindre frottement, une nouvelle plaie peut apparaître : Youssef est un « enfant-papillon », sa peau est aussi fragile que l’aile d’un papillon.

Un choc à la naissance

Dès la naissance de Youssef, la maladie est une évidence : des genoux aux chevilles, des coudes aux mains, sa peau n’est pas correctement formée. Pour ses parents, qui viennent du petit village rural de Deir Sammit à l’ouest d’Hébron, c’est un choc. « J’ai accouché par césarienne et je n’ai pas tout de suite vu mon bébé », se souvient sa mère Amani Sweiti (34 ans). « Mais mon mari s’est effondré en le voyant. On lui a dit que notre enfant ne survivrait pas longtemps. »

Le père de l’enfant, Abdelrahman Sweiti (41 ans), refuse de baisser les bras. Il est au courant des bons soins prodigués à l’Hôpital de l’Enfance Bethléem et insiste pour y faire admettre son bébé. L’hôpital pédiatrique peut effectivement rendre espoir aux Sweitis, car il est préparé à traiter la maladie du papillon. En même temps, on ne leur cache pas que Youssef souffrira toute sa vie d’une forme grave d’épidermolyse bulleuse. Dès l’admission du nouveau-né dans le service des soins intensifs de néonatologie, le traitement standardisé de cette maladie incurable commence. Le diagnostic est confirmé par un test génétique. A l’hôpital, l’état du petit patient commence à se stabiliser.

Le nouveau-né passe 18 jours aux soins intensifs avant que sa mère ne le voie. Amani a besoin de ce temps pour se préparer mentalement à la rencontre avec son enfant et bénéficie pour cela d’un soutien psychosocial. « Il est important de montrer aux familles qu’elles ne sont pas seules », souligne l’assistante sociale de l’hôpital pédiatrique, Hiba Sa’di. « Ce n’est pas facile pour une mère d’accepter son bébé lorsqu’il est gravement malade et complètement défiguré. Il faut d’abord apprendre à le toucher et à lui donner de la tendresse et de l’amour. » Le choc subi par son mari à la naissance de leur fils est donc épargné à Amani lors de leur première rencontre.

Traitement spécialisé à Bethléem uniquement

L’hôpital de l’Enfance Bethléem est le seul établissement hospitalier de Palestine capable de soigner des enfants comme Youssef. Ainsi, quelque 40 enfants-papillons issus de 35 familles y sont aujourd’hui pris en charge. La plupart d’entre eux viennent de la région d’Hébron, de Beit Fajjar au sud de Bethléem ou d’Ubeidija, sur les pentes du désert de Judée menant à la mer Morte – des endroits où le travail de sensibilisation de l’hôpital pédiatrique commence lentement à porter ses fruits. Au-delà de Bethléem, le service social de l’hôpital s’efforce d’informer la population sur les risques génétiques des mariages entre parents, très répandus. « Ces cinq dernières années », explique Hiba Sa’di, « de plus en plus de jeunes couples ont accepté de faire une cartographie génétique avant le mariage. » Ces tests génétiques gratuits font donc partie de l’offre de l’hôpital, tout comme les conseils donnés sur place aux familles.

L’impact de la maladie sur la vie quotidienne varie, notamment en fonction du sous-type et de la gravité de son évolution. « L’essentiel du traitement consiste à prodiguer des soins appropriés à la peau et aux plaies afin d’éviter les inflammations. Enseigner cela aux mères nous permet de réduire les séjours hospitaliers des enfants », explique Hiba Sa’di. En général, environ deux tiers des personnes atteintes ont une espérance de vie normale. Mais en Palestine, ce sont les cas graves, où cette mutation génétique peut abréger la vie, qui prédominent.

Le plus grand défi pour les parents et l’hôpital est l’incertitude : « Ce qui aide un enfant peut rester sans effet sur un autre. Mais il existe des lignes directrices que nous suivons à chaque traitement », déclare la médecin-cheffe, Dre Hiyam Marzouqa. Pour les mères comme pour les pères de ces enfants, la mise en réseau et les échanges avec d’autres familles concernées sont aussi importants. C’est là que le service social de l’hôpital entre à nouveau en jeu : « Nous connaissons les familles et nous les mettons en contact les unes avec les autres », raconte Hiba Sa’di. L’hôpital favorise ainsi le soutien pratique et émotionnel des personnes concernées, à l’instar des groupes d’entraide en Suisse.

Quand l’échange d’expériences crée une amitié

Dans le cas du petit Youssef, le concept proposé par l’hôpital pédiatrique s’avère être une aubaine. « On nous a dit qu’il y avait près de chez nous d’autres familles qui étaient concernées », se souviennent ses parents. Ils font référence à Mariam et Samer Darrabi’ de Dura, qui partagent le même destin et ont une longue expérience de cette maladie génétique. Deux de leurs fils, Yasan (24 ans) et Joud (5 ans), sont des enfants-papillons, comme Youssef. Une soeur de Mariam et un cousin de Samer souffrent également de cette maladie, dont il n’existe que quelques cas en Suisse. Mariam rassure les parents de Youssef, très inquiets au moment de le ramener à la maison à la fin de la phase de stabilisation à l’hôpital. Elle se souvient encore très bien d’avoir vécu la même situation, le choc du diagnostic et l’absence de perspective. Elle n’avait que 18 ans à la naissance de Yasan. A l’époque aussi, le pronostic des médecins de l’hôpital local était défavorable. Mais la famille a insisté pour emmener le nouveau-né à Bethléem. Les histoires de Yasan et de Youssef se ressemblent – raison pour laquelle l’expérience de Mariam Darrabi’ est si utile pour les Sweitis.

Mais l’entraide et la générosité ne s’arrêtent pas au partage d’expériences. « Mariam nous a proposé de s’occuper de Youssef jusqu’à ce que nous nous sentions capables de le faire nous-mêmes », explique Abdelrahman. Pendant plusieurs jours, Mariam vient quotidiennement chez les Sweitis pour aider à nourrir, baigner et changer les pansements du petit garçon-papillon. « Je leur ai appris tout ce qu’il faut savoir », raconte-t-elle, « maintenant les Sweitis sont autonomes ! » Aujourd’hui encore, les deux familles sont unies. La plupart du temps, Joud, le plus jeune fils de Mariam et Samer, l’enfant-papillon, est occupé à jouer devant la maison avec les frères et soeurs de Youssef. Les deux couples ne s’inquiètent pas : entre-temps, les enfants en bonne santé ont aussi appris ce que les enfants-papillons hypersensibles peuvent supporter ou non.

Une assistante sociale comme intermédiaire

Lorsque les enfants sont plus grands, la gestion de la maladie devient plus facile. Mariam se veut rassurante devant les parents de Youssef : « Les enfants grandissent avec leur maladie et apprennent à comprendre ce qui leur fait du mal. Leur système immunitaire s’améliore également avec le temps. » Aujourd’hui, Amani a pris confiance en elle au point de vouloir à son tour faire profiter d’autres familles de son expérience de maman d’enfant-papillon.

En tant qu’« intermédiaire » entre les familles, l’assistante sociale de l’hôpital Hiba Sa’di reste en contact téléphonique régulier avec elles et effectue des visites à domicile. Ce suivi est renforcé par les consultations à l’Hôpital de l’Enfance Bethléem, où les familles reçoivent des pansements et des médicaments gratuits. Compte tenu du fait que le salaire minimum mensuel en Palestine est d’environ 390 francs, c’est une aide vitale pour les familles concernées.

Même si la maladie du papillon est incurable, la prise en charge de l’hôpital pédiatrique rend les ailes des enfants-papillons infiniment plus solides. Les soins médicaux, thérapeutiques et sociaux prodigués par l’hôpital pour enfants leur permettent de s’envoler vers la vie.

L’épidermolyse bulleuse est le nom scientifique de la « maladie du papillon » causée par une mutation génétique. Elle affecte la formation des protéines de la peau et endommage ainsi sa structure et son élasticité. Ces dégradations rendent la peau des malades extrêmement vulnérable. Cette symptomatologie est amplifiée par de nombreux autres symptômes associés graves, tels que des adhérences aux doigts et aux orteils ainsi que des cloques sur les muqueuses, qui rendent l’alimentation et la digestion difficiles. Malgré quelques succès thérapeutiques isolés, la médecine n’est toujours pas en mesure de guérir la maladie du papillon. Seuls les symptômes de cette maladie peuvent être traités. 

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